01 août 2006

dieu


depuis environ 25 ans, y'a un type qui me suit.
c'est à dire qu'il apparaît régulièrement dans mon champ de vision, quelque soit le lieu et la circonstance. certaines fois je me dis que c'est un rêve, qu'il n'y a que moi qui le voit, et quand j'en parle aux gens qui sont avec moi ils le voient aussi, sauf qu'à eux ça leur fait pas le même effet.
peut-être même que ça fait plus de 25 ans et qu'auparavant je m'en rendais pas compte.

je me rappelle pas de la toute première fois où je l'ai vu, mais ça devait être au café des alpes, à Martigny. dès l'âge de 14 ans, j'allais régulièrement y boire des coups, un petit bistrot plein de souvenirs de copains, de copines, de flippers, de branlées mémorables, de travaux de français ou de maths bâclés à 9h du matin quand Gilbert Amoos, mon prof principal, trouvait le courage de me renvoyer à la maison chercher mes devoirs "oubliés"...
bref ce bistrot, en fait, c'était mon bureau, l'endroit où on pouvait m'atteindre à n'importe quelle heure (à l'époque y'avait pas de téléphones portables), et justement dans ce bistrot, quelques fois, y'a eu ce drôle de type qui venait boire un verre de temps en temps, petit, un peu rondouillard, très digne, très droit, engoncé dans un costume noir gilet-cravate-mallette, je dirais la cinquantaine à l'époque, petite moustache mal fagotée, il semblait venir d'un autre monde ou d'une autre époque, ne lui manquait que la chaîne de montre et le monocle, il buvait son coup de rouge, et quand il se lançait dans ses théories, il faisait chier tout le monde, vraiment le gars pénible, avec sa petite voix haut perchée et éraillée de vieux mickey, on aurait dit qu'il parlait à travers un anus artificiel. son cheval de bataille semblait être le conflit linguistique qui sépare les suisses. il causait, il causait, il semblait surtout revendiquer on ne sait quoi, mais avec véhémence, tant qu'il avait de la peine à reprendre son souffle et qu'il s'étranglait dans ses mots. le gueulard mega-grave. il me faisait pitié.

aux Alpes, je l'ai vu deux ou trois fois, ça portait pas vraiment à conséquence, c'était un peu le bistrot de tous les tarés du coin et autres marginaux. là où ça sent le surnaturel c'est que par la suite j'ai commencé à le croiser de plus en plus souvent, à des endroits parfois incongrus, du style le buffet de la gare à Altdorf ("Mais kessk'il fout là celui-là ?") et le plus souvent dans le train, qui me menait soit à Bâle, soit à Bienne, ou au retour, et même ailleurs, dans des lieux où je m'attendais pas du tout, style un concert avec les Glen à Schwarzenburg, une pièce de théâtre à Gwatt, etc... ça a duré des années.

un jour dans le train, il est venu s'asseoir en face de moi, cherchant quelqu'un à qui exposer sa manière de voir les choses. je me suis dit "voyons voir finalement où il veut en venir avec ses conneries". après deux minutes je m'en mordais les doigts, m'étant rendu compte que son but était simplement de contrarier quelqu'un, n'importe qui, celui qui se trouverait sur son chemin, en l'occurence, ce jour-là, MOI, et ce fut assez chiant. il était entré à Lausanne et j'ai pu respirer lorsqu'il est sorti à Yverdon. j'avais fait celui qui est d'accord avec tout, mais lui il avait envie de rester fâché...

depuis ce jour, j'ai continué de le croiser, mais évidemment je l'évitais soigneusement, en prenant systématiquement toute la place pour l'empêcher de s'asseoir en face de moi. Et un beau soir, alors que je soupais dans la voiture-restaurant, ce con est venu se mettre trois tables derrière moi et bien entendu il est reparti dans ses théories. ça faisait longtemps que je me demandais ce que ce gars pouvait bien foutre dans ma vie, je me disais que ça pouvait être mon ange gardien... j'étais tranquille en train de manger, et lui divaguait tout seul, au fond du wagon, je l’écoutais d’une oreille distraite, mais amusée, “quand je suis à Lausanne, je parle français !... et si je suis à Altdorf, iche rédê chvitzertûtche !... e quando sono a Mendrisio...” jusqu'à ce qu'un autre client s'emporte et sorte sa grosse voix : "écoutez, maintenant ça suffit, ça fait depuis Neuchâtel que vous faites CHIER tout le wagon avec vos CONNERIES, j'en ai assez entendu, taisez-vous et laissez-moi manger en paix, monsieur". l'autre s'interloqua, tout étonné que quelqu'un réagisse enfin, s'engouffra dans la brèche, joua l'indigné, “mais comment ?!? vous ne comprenez pas ce que je veux dire ?!...” c'était du délire, moi je me taisais, prenant mon air détaché 23bis, je fis celui qui s'intéresse à autre chose, mais évidemment, je ne pouvais que suivre ce qui se passait dans le compartiment, donc les deux protagonistes commencèrent à s'engueuler méchamment, jusqu'à ce que le contrôleur, le genre vieux poivrot à deux ans de la retraite, vint à passer. d'un coup d'oeil il jaugea la situation et d'une voix rocailleuse et traînante il s'adressa à mon énergumène : " maiiiis René, arrête, Renééé, tu 'ois pas qu't'emmerdes tout l'monde, alleeeez, Renééé, faut pas faire chier, comme ça, allez, viens là, bois un verre, vous inquiétez pas, il descend à Yverdon, allez Renééé, fais pô chier, quoiiii, putain t'es chiant, Renéé". déjà que je trouvais vraiment très louche de croiser si régulièrement un gars comme ce fameux René, là, à ce moment précis, ce fut pour moi une révélation : en fait ce type c'était DIEU. Dieu qui descendait sur terre pour me mettre à l'épreuve !

donc voilà. j'ai ainsi découvert la vérité ultime qui régit le monde :
DIEU EST UN PETIT CON MOUSTACHU QUI S'APPELLE RENE.
depuis que j'ai découvert la vérité, je le croise de moins en moins souvent, Dieu. il est sûrement en train de mettre quelqu'un d'autre à l'épreuve, et, oserai-je l'avouer, je m'en porte pas plus mal.
jusqu'à il y a 2-3 jours. je buvais un verre au café du Midi (qui est mon bureau actuel), avec Julien, lorsque DIEU est entré. il change pas d'un poil... juste un peu plus rabougri, un peu moins rond, mais je le reconnais bien, c'est lui... ça fait presque plaisir, c'est même presque rassurant...
nom de dieu...
alors quand il est parti je l'ai pris en photo avec mon téléphone portable, mais pas de face, c'est interdit (mais sa silhouette est reconnaissable entre mille)

13 commentaires:

Anonyme a dit…

j'adore! on a tous un petit René en nous, hein?

xa a dit…

non, non, pour ma part il est pas en moi, il est quasi-omniprésent dans ma vie et j'y peux rien!

Anonyme a dit…

ben je l'ai jamais vu...mais de dos il a l'air pas mal sexy!

Anonyme a dit…

Dieu est incroyable !

Anonyme a dit…

Salut Paul Auster, comment ça va?

Anonyme a dit…

ah!!!
ah!!!
oh!!!
ah!!!
(Louis de Funès)

alors là! Paul Auster! j'y crois pas!
si y'a un scrivaillon avec qui j'ai aucune accointance, c'est bien Paul Auster...

bon ça va j'me calme

à part ça, Mitsouko, ça va? de retour sur le üéb?

Anonyme a dit…

non, en fait, finalement, si tu me compares à Paul Auster, c'est que j'écris vraiment mal...

ça me rassure...
(Jennifer me dit que j'ai choisi le bon métier...)

par exemple, si t'avais dit Dalton Trumbo, alors, là je me serais dit wow!

enfin bref...

Anonyme a dit…

Putain ce con de Dieu se dirige vers ma voiture (la jolie grise à l'arrière plan) J'espère qu'il ne va pas s'y installer!

Anonyme a dit…

Ben moi j'adore Paul Auster avec ses histoires qui commencent comme de la vraie vie vécue puis qui dévient inexorablement vers le truc complètement délire.
Comme ton histoire, d'ailleurs...
Su tu pouvais me présenter Dumbo Tralton à l'occase...
Bises

Anonyme a dit…

Dalton Trumbo, écrivain américain qui a produit entre autres un best seller (qui a donné lieu à un magnifique film) qui s'appelle "Johnny got his gun". en français "Johnny s'en va t'en guerre"
incontournable. un chef d'oeuvre de poésie et de véritable vraie vie vécue.
à côté de ça Auster n'est qu'un infâme pisse-copie
enfi c'est mon avis...

Lara a dit…

To be compared to Dalton Trumbo would indeed be quite a compliment! I consider him one of the best writers of the last century! For those of you who don't know, he also wrote the script for the movie "Spartacus", starring Kirk Douglas. He is very famous here, seeing how he was born in Montrose, Colorado. Xa, maybe with a few more years of practice...

Anonyme a dit…

merci pour les infos, Lara
je te rassure, mon but dans la vie c'est pas du tout de savoir bien écrire, c'est plutôt dans la musique que je cherche à me réaliser...
et ma légendaire humilité ne me permet aucune comparaison avec un vrai écrivain...

Anonyme a dit…

J'ai lu "Johnny s'en va t'en guerre" il y a bien longtemps, mais en fait je me rappelle pluss des circonstances de cette lecture (Rive-Neuve - soins palliatifs - tenter de comprendre ce qui passe quand le toucher est le dernier sens qui reste) que du bouquin lui-même, hormis le fait que, sauf erreur, c'est grâce à une infirmière qui a pu "lire" le morse des mouvements de sa tête sur l'oreiller que la communication a pu être rétablie.

Et puis bon, c'est pas parce qu'on est amis avec des gens qu'on doit aimer les mêmes livres ou la même musique qu'eux, hein...

Rien de pire que de recommander un truc que tu as super apprécié à un très bon ami... qui ne l'aime pas. Tout à coup on se sent moins proche. Donc je continuerai à lire tranquillement mon Paul Auster.

Sinon hier soir à Radio Paradiso, un musicien français dont je ne me rappelle plus le nom m'a diablement fait penser à Mark Hollis.

Et pis je crois qu'on va vous laisser nostalgiquement entre vous, Lara et toi...

Côté nostalgie, j'ai également une belle histoire : la fille que j'ai revue au concert des Charlotte à Sierre (une amie d'Olivier) est l'ex du mec dont j'ai été le plus raide dingue amoureuse de toute ma vie. Forcément, ça crée des liens...

A bientôt pour d'autres commentaires en vrac, bises